

Macron nomme un proche, Sébastien Lecornu, à Matignon, un pari à haut risque
Emmanuel Macron a nommé mardi le ministre des Armées Sébastien Lecornu à Matignon, charge revenant à ce fidèle issu de la droite de trouver des "accords" avec les forces politiques avant de "proposer" un gouvernement. Une mission à haut risque face à la menace permanente d'une censure.
A 39 ans, l'ex-sénateur normand, de tous les gouvernements d'Emmanuel Macron depuis 2017, devient son septième Premier ministre, et le quatrième en un an. Du jamais-vu dans une Ve République longtemps réputée pour sa stabilité mais entrée dans une crise sans précédent depuis la dissolution de l'Assemblée en juin 2024.
Le président de la République, qui a reçu son nouveau chef de gouvernement mardi soir, l'a "chargé de consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la Nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois", a annoncé l'Elysée. Le nouveau pensionnaire de Matignon a déjà entamé ses consultations, selon un conseiller de l'exécutif.
Le chef de l'Etat lui a fixé comme priorités "la défense de notre indépendance et de notre puissance, le service des Français et la stabilité politique et institutionnelle pour l'unité du pays", se disant "convaincu" qu'une entente est "possible" malgré une majorité introuvable depuis la dissolution ratée de 2024.
"Nous sommes au travail, avec humilité, et nous allons tout faire pour y arriver", a tweeté peu après Sébastien Lecornu sur X, assurant "mesurer les attentes" des Français et "les difficultés" qui l'attendent.
La passation de pouvoir avec François Bayrou, qui a perdu son pari de la confiance lundi à l'Assemblée pour redresser les finances du pays, aura lieu mercredi à midi à Matignon. Elle va coïncider avec une journée de mobilisation pour bloquer le pays initiée par divers mouvements, avant une mobilisation syndicale le 18 septembre.
Le chef des Républicains et ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau s'est aussitôt dit prêt à "trouver des accords" avec M. Lecornu afin de bâtir une "majorité nationale", signifiant ainsi sa volonté de rester au gouvernement.
- "Dernière cartouche"-
Sébastien Lecornu "a les qualités" pour "discuter" et "trouver un accord" avec les autres partis, a jugé l'ex-Premier ministre Édouard Philippe, sur TF1.
Le Rassemblement national et les Insoumis ont pour leur part dénoncé la proximité entre le président et son nouveau chef du gouvernement, promettant de continuer à manier la censure faute de changement de cap politique.
"Le président tire la dernière cartouche du macronisme", a ironisé Marine Le Pen sur X.
Jean-Luc Mélenchon, dénonçant "une triste comédie de mépris du Parlement", a de nouveau appelé au "départ de Macron". Une "provocation" et "un non respect total des Français", a renchéri la patronne des Ecologistes Marine Tondelier.
Les socialistes, possibles interlocuteurs pour un accord de non-censure, seule voie de passage susceptible de garantir un minimum de stabilité, ont dans l'immédiat jugé que le chef de l'Etat prenait "le risque de la colère sociale" et "du blocage institutionnel". Ils s'étaient eux-mêmes portés en vain candidats pour Matignon.
Après avoir reconnu la défaite de son camp aux législatives post-dissolution, tenté une semi-cohabitation avec l'opposant Les Républicains Michel Barnier puis avec le centriste Bayrou, Emmanuel Macron s'en remet donc à un macroniste pur sucre qui a grimpé les échelons jusqu'à devenir ministre des Armées en 2022.
Déjà en décembre dernier, il avait voulu le nommer à Matignon, mais son allié historique François Bayrou avait fini par s'imposer à lui.
Cette fois, le président n'a pas tergiversé malgré une offre de service de la présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet, cette nomination express semblant indiquer que le scénario avait été soigneusement préparé en amont.
A Sébastien Lecornu de résoudre désormais le casse-tête d'une Assemblée plus fragmentée que jamais, en suivant la demande du président de "travailler avec les socialistes" pour "élargir" l'assise de la fragile coalition avec la droite.
- Concessions -
Pour tenir, le futur gouvernement devra quoi qu'il en soit obtenir, a minima, une non-censure du PS, indispensable pour doter la France d'un budget pour 2026, dont la préparation vient de faire tomber le gouvernement sortant qui avait présenté un effort de 44 milliards d'euros. Le calendrier budgétaire menace déjà de dérailler en raison de cet énième soubresaut de la crise politique, après le retard inédit de l'an dernier.
Et l'impasse politique risque d'agiter les marchés financiers, en attendant la décision de l'agence Fitch qui pourrait dégrader vendredi la note de la dette française. Mardi, la France a emprunté à échéance dix ans aussi cher que l'Italie, longtemps classée parmi les mauvais élèves en Europe.
Selon un interlocuteur régulier d'Emmanuel Macron, ce dernier pourrait cette fois accepter que le Premier ministre fasse de réelles concessions aux socialistes, par exemple sur la taxation des plus riches, jusqu'ici un tabou pour lui.
Emmanuel Macron le sait: s'il n'a que des cartes imparfaites entre les mains, l'atout qu'il a abattu risque d'être le dernier avant de devoir, en cas de nouvel échec, redissoudre l'Assemblée, comme l'y invite le Rassemblement national. En cas d'impasse prolongée, la pression monterait sur une démission d'Emmanuel Macron, espérée par l'extrême droite comme par La France insoumise.
D.Lopez--PI